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vendredi 15 avril 2011

Y.Kacimi El-Hassani ou l'art de sublimer la lettre
Après Bou-Saâda, Sour El-Ghozlane, Le Caire et Paris, ce calligraphe et musicien algérien s'est installé à Bourges voilà douze ans. Il y dirige l'association culturelle El Qantara.

Directeur de l'association culturelle El Qantara, à Bourges, Yacine Kacimi El-Hassani est avant tout un talentueux musicien et calligraphe. Né en 1963 à Bou-Saâda, à la Zaouïa d'El Hamel, dans le Sud de l'Algérie, cet amoureux de la lettre a toujours entretenu une relation émotionnelle et intellectuelle avec sa ville, oasis nichée au pied des monts de l'Atlas Saharien, « la cité du bonheur », qui a tant inspiré le peintre Étienne Dinet. « Une zone steppique d'où l'on entrevoit les premières dunes de sables et palmeraies... »

Une errance jubilatoire
Ses terres ocres voyageront avec lui tout au long de sa vie. Si Yacine et sa famille déménagent très tôt à Sour El-Ghozlane, dans le Nord du pays, ils retournent régulièrement à Bou-Saâda, le temps des vacances : « Ces séjours étaient une immersion dans l'univers familial, baigné dans une atmosphère hautement spirituelle et très ouverte sur le culte du savoir. » L'artiste est issu d'une lignée de lettrés, composée d'illustres personnages de la mystique soufie appartenant à la Zouïa d'El-Hamel « J'ai été au contact de manuscrits avec de sublimes enluminures très jeune : comment y rester insensible ? »
L'importance, la sacralisation du livre l'a porté à « célébrer, magnifier la lettre par la calligraphie. La motivation première d'une planche, l'étincelle, est toujours un texte, une phrase, une citation, un vers, un mot, une lettre ». Ce qui intéresse le calligraphe, c'est le transbordement. Dans sa toile La lettre est voile, « la lettre est écart. Elle est le moyen d'expression qui révèle le sens ou l'idée, mais, en même temps, elle le voile et le réduit. » Yacine doit donc composer avec une matière qu'il sait limitée et considère que la calligraphie est un dépassement de l'écriture au cours de laquelle il se livre à « une errance jubilatoire. On n'a pas peur de se perdre. » Depuis sa plus tendre enfance, il a été bercé dans un univers qui lui a « donné les clefs de l'assurance pour appréhender la diversité avec pondération ».
C'est à l'époque du collège qu'il s'essaye à la calligraphie, en autodidacte : « J'avais déjà le regard aiguisé ». Et c'est au même moment qu'il commence à pratiquer le oud, l'ancêtre du luth qui est l'instrument à cordes par excellence de la musique orientale. Après le lycée, il part à l'université d'Alger étudier les sciences sociales, puis il prépare l'équivalent d'un « Magistère » en sciences sociales, en Égypte, à l'université d'Héliopolis, au Caire. C'est dans cette ville qu'il acquiert son premier luth. Et ce ne sera pas le dernier.
Puis Yacine arrive à Paris, à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), où il se spécialise en anthropologie : « J'ai voulu faire un travail sur la transmission du savoir - ou des savoirs - en prenant comme fil conducteur l'élaboration d'un dictionnaire généalogique autobiographique », qui lui a permis d'aborder les milieux savants par le biais de l'histoire de son arrière-grand-père.
C'est à la même période que le calligraphe amateur suit des cours particuliers avec deux professeurs de renom. Avec le calligraphe irakien de l'école de Bagdad, Ghani Alani (qui a obtenu le prix Unesco-Sharjah pour la culture arabe en 2010), il apprend le style Naskhî, « le style des copistes », durant deux ans. Puis, avec le calligraphe iranien Abdollah Kiaie, il se concentre sur le style Farisî, c'est-à-dire persan. « Ce qui m'a frappé c'est que tout en étant au sommet de la maîtrise de leur art, ils sont d'une humilité et d'une générosité exemplaires. Leur sens du partage les pousse à transmettre leur savoir. »
À l'opposé de l'agitation de l'environnement, la calligraphie : « Pas de course, pas de performance, mais un état d'esprit. » Le propre du travail du calligraphe, c'est la concentration qu'il nécessite. Les styles calligraphiques de prédilection de Yacine Kacimi El-Hassani sont le Diwanî, le Koufî et le Maghribî. Ce dernier, qui fait figure de parent pauvre de par le peu de place qui lui est accordé dans les ouvrages de calligraphie arabe, intéresse particulièrement l'artiste, qui compte bien oeuvrer pour sa réhabilitation : « Il est tellement élégant et tellement riche de ramifications ! »

L'homme et le roseau
Pour magnifier le verbe, Yacine doit confectionner ses calames et pas à partir de n'importe quel roseau, car la qualité de la plume du calame dépend de la qualité de l'eau dans laquelle il a baigné avant d'être transformé en outil. « La coupe en biseau se fait sur un os pour ne pas abîmer le bois. Elle doit être délicate, nette et précise, et prévoir un réservoir d'encre. ». Parmi les différentes encres qu'utilise le calligraphe, le Smaq, une encre à base de laine de mouton « très simple, mais très respectueuse de l'environnement ». Ses outils ? de l'eau distillée, de la gomme arabique, des fils de soie, de la noix de Galle « pour donner un aspect brillant », du sulfate de fer « pour éviter que l'encre ne tourne » et du noir de fumée « pour donner de la consistance ».

« En calligraphie, il n'y a pas de repentir possible »
Quand il se couche sur le papier, Yacine fait le vide et passe par une phase d'exercice sans plan préétabli : « Il m'arrive de commencer une planche, puis de la laisser et de la reprendre plus tard. » Pour aboutir le calligraphe doit être en éveil constant : « En calligraphie, il n'y a pas de repentir ». L'artiste n'a aucune idée du nombre de toiles qu'il a fait naître. Jusqu'à l'an dernier, il ne vendait pas son travail, mais il a dû s'y résoudre pour pouvoir en créer de nouvelles.
Yacine Kacimi El-Hassani a fui la vie parisienne, il y a douze ans, pour s'installer à Bourges. Admiratif des bâtiments chargés d'histoire qui habillent sa ville, il estime qu'elle doit être « un véritable carrefour d'échanges culturels » de par sa situation géographique. Depuis 1992, il est administrateur et soliste au sein de l'Ensemble de musique arabo-andalouse Albaycin, dirigé par Rachid Guerbas. La troupe a donné de nombreux concerts : à Paris, à Cordoue en Espagne, à Vienne en Autriche, à Bratislava en Slovaquie, et bien sûr, à Bourges.
Anne-Lise Dupays
echoduberry.adu@orange.fr

Repères

1963 : naissance à Bou-Saâda, à la Zaouïa d'El-Hamel, en Algérie.
2003 : exposition Témoins par l'image au centre associatif le Hameau de la fraternité, à Bourges.
2004 : exposition Lettriture au Centre culturel algérien de Paris.
2005 : exposition à Gijón, en Espagne.
2007 : ouverture de la saison culturelle à l'Abbaye de Noirlac avec une exposition de calligraphies dédiées au rêve andalou. La même année, il présente l'exposition Encre et papier, dans le cadre de la manifestation Alger, capitale de culture arabe, en Algérie.
2010 : exposition à la galerie Pictura, à Bourges

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